Deux chantiers importants sont en cours en 2013 pour le développement économique français : le soutien au développement des entreprises solidaires, par la future loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS), d’une part ; le lancement de la Banque Publique d‘Investissement (BPI) d’autre part.
Benoit Hamon prépare depuis plusieurs mois la première loi française sur l‘ESS, en concertation avec de nombreux acteurs du secteur. Le projet vise clairement à faire du champ des associations, coopératives, mutuelles et fondations l’un des leviers importants de la relance de l’économie : l’économie sociale et solidaire investit des champs stratégiques tels que la lutte contre le réchauffement climatique, la lutte contre les gaspillages, le vieillissement de la population, la relocalisation de l’économie… ; elle crée de nouveaux emplois et de nouvelles richesses, plus économes en ressources naturelles et plus durables ; elle propose des projets économiques innovants, qui répondent aux besoins humains, réduisent les inégalités et améliorent la qualité de vie.
La reprise d’entreprise par l’actionnariat salarié, qu’il soit coopératif ou non, permet de maintenir des activités économiques (et leur centres de décision !) en France ou d’assurer leur transmission. Au-delà des frontières statutaires, traditionnelles, le projet de loi cherche à encourager le développement de l’ensemble des activités économiques touchant l’intérêt général, ayant une organisation démocratique interne et une réelle éthique dans la rémunération du capital et des salariés. A travers l’idée d’entreprises solidaires, cette prochaine loi pourrait permettre de faire travailler plus ensemble des structures d’insertion et des entreprises en recherche de sous-traitance, des associations de services à la personne et des artisans, des structures de commerce équitable et le secteur agricole. Au-delà des quelque 223 000 structures de l’ESS, ce sont les millions d’entreprises de l’économie de proximité et leurs emplois qui peuvent être, à terme, concernés…
Comme dans tout autre secteur économique, ces entreprises doivent être soutenues dans leurs stratégies de développement. Pour accéder à de nouveaux marchés, correspondant à des besoins non ou mal couverts, pour devenir des entreprises de taille intermédiaire, ces ETI que la France appelle tant de ses vœux, pour réussir ces nouvelles alliances avec l’économie conventionnelle, les entreprises solidaires ont besoin d‘accéder aux financements de l‘investissement. François Hollande a déclaré, le 22 octobre dernier, dans ses « 10 engagements pour la croissance, l’emploi et la solidarité dans les territoires », que les interventions… en faveur de l’économie sociale et solidaire [devaient] être pleinement prises en compte dans les soutiens que consacrera la Banque Publique d‘Investissement dans ce secteur, pour lequel est prévue une enveloppe de 500 M€. La BPI vient d‘être lancée à Dijon le 22 février dernier et pourtant, en tant que porte-avion de la compétitivité française, elle risque bien de torpiller l’engagement du Président de la République quant au soutien de l’ESS. Ségolène Royal a beau mettre en avant l’intérêt des coopératives en France à l’occasion de sa nomination comme première vice présidente de la BPI, l’esprit de la coopération risque de peu souffler sur cette nouvelle Banque.
Pour la plupart des personnes proches du dossier et sensibles aux entreprises solidaires, il ne fait pas de doute, en effet, que les patrons de la BPI perçoivent mal, au regard de leur feuille de route, l‘intérêt de l‘ESS. Trop petites, pas assez capitalisées, trop dispersées sur le territoire, ayant des besoins d’investissement trop modestes, les entreprises solidaires ne trouveraient pas leur place dans la BPI. Pour des raisons techniques autant que politiques, les entreprises de l’ESS n’auraient donc pas à solliciter la BPI mais plutôt leurs interlocuteurs habituels de la Caisse des Dépôts, comme cela s’est fait pour le Programme Initiative d‘Avenir (PIA). Rappelons que ce programme, créé en 2011, est doté d’un budget de 100 M€ ; en deux ans 38 co-financeurs territoriaux ont été sélectionnés et seulement 51 projets en ont bénéficié, pour un total de 24,5M€. L’instruction de ce type de dossiers reste en effet très centralisée et les bénéficiaires sont plutôt des grosses structures de l’ESS, en capacité de mobiliser l’ingénierie requise pour répondre aux appels d’offre de ce type.
Cette réponse n’est pas à la hauteur des espoirs que les acteurs de l’ESS et les collectivités avaient vis-à-vis du volet ESS de la BPI. Renvoyer l’aide à l’investissement ESS vers les modalités classiques actuelles, de type PIA, risque de ne pas générer de dynamique nouvelle, ni dans la mise en réseau des entreprises solidaires autour d’investissements groupés, ni dans la mobilisation des collectivités locales. Il ne sera aucunement en mesure d’atteindre les objectifs financiers de 500 M€ d’investissement dans l’ESS, visés par l’Etat, et ses impacts attendus en terme d’emploi et de valeur ajoutée sociale et économique. Ceci ne soutiendra sans doute pas les efforts engagés par ailleurs par le gouvernement autour de la future loi sur l’ESS.
Les collectivités, et en particulier la Région Rhône Alpes, ainsi que les réseaux de l’ESS, considèrent qu’il est absolument nécessaire de constituer un volet entreprises solidaires au sein de la BPI. Celui-ci doit être géré par la Banque Publique d’Investissement, en étroite relation avec le réseau de la Caisse des Dépôts et ses co-financeurs territoriaux, et notamment le réseau France Active. Il doit être placé sous le pilotage des Comités d‘Orientation National et Régionaux, associant notamment les élus régionaux en charge de l‘ESS et des personnalités qualifiées issues de l‘ESS. Ensemble, les acteurs pourront ainsi vraiment honorer l’engagement du Président de la République de soutenir l’investissement des entreprises solidaires.
Cyril Kretzschmar
Conseiller délégué à la nouvelle économie, aux nouveaux emplois, à l’artisanat et à l’économie sociale et solidaire, Conseil Régional Rhône Alpes
Tribune publiée sur le blog du Cercle des Echos et sur Médiapart